Avant-propos
par Seloua Luste Boulbina
Un monde en noir et blanc
Quand on dit « minorités », et il n'y a de minorités que locales et politiques, certains sortent, immédiatement, leur revolver : quotas et statistiques ethniques. « Quoi ? disent-ils, cela a-t-il un sens, intellectuellement parlant, de compter ? » Oui, il est important de compter ceux qui, pour l'instant seulement, et non pas pour toujours, ne comptent pas. Combien dans les gouvernements ? Combien dans les parlements ? Combien dans les universités ? Combien, enfin, et comment, dans les « revues savantes » ? Compter, c'est se demander comment et par qui nous sommes gouvernés. Les bons comptes, en effet, font les bons amis.
Ici, à Paris, on préfèrera parler de « minorités visibles » plutôt que de parler, comme le feraient les Américains, des « Afro-Français ». On parlera des « Blacks » plutôt que des Guadeloupéens ou des Réunionnais, des Martiniquais ou des Guyanais, en laissant de côté ? c'est si loin ? le « peuple autochtone » des Kanaks comme d'autres encore. On laissera les enfants de Maliens ou d'Haïtiens de côté: où les caser ? On ne saura plus alors distinguer les histoires puisque, de l'Afrique à l'Amérique, on aura fait de la carnation le principal trait d'union.
Dans un monde en noir et blanc, les Indiens les plus foncés de peau ne sont pas noirs, ils sont Indiens. Les Sénégalais ou les Camerounais, en revanche, sont noirs. Au mieux, ils sont ? indistinctement ? africains.
Dans la postcolonie, il subsiste du colonial. Le travail de décolonisation exige patience et persévérance tant les clichés sont pratiquement efficients, les représentations pérennes et les langages inadaptés. Comptons sur nous : telle est la politique de l'amitié.
Je remercie les amis qui ont contribué à ce numéro des Cahiers de Sens Public.